ALICOM 99/11





Conférence sur le commerce international des denrées alimentaires au-delà de l'an 2000: décisions fondées sur des données scientifiques, harmonisation, équivalence et reconnaissance mutuelle
Melbourne (Australie), 11-15 octobre 1999

Garantir la qualité et l'innocuité des aliments : retour à l'essentiel - Contrôle de la qualité tout au long de la chaîne alimentaire - Le rôle des consommateurs

par

le docteur Edward Groth III , Consumers Union of United States, Inc, USA



Table des mati�res


I. Introduction

1. Dans la plupart des pays, le consommateur moyen connaît mal le GATT, les Accords SPS et OTC, la Commission du Codex Alimentarius, l'Organisation mondiale du commerce ainsi que d'autres organismes internationaux qui oeuvrent dans le domaine de la qualité et de l'innocuité des produits alimentaires, ceux-ci représentant pour lui des entités abstraites et lointaines. Les consommateurs ordinaires ont du mal à saisir comment les activités de ces organismes affectent leur vie quotidienne et leurs choix alimentaires.

2. Cela étant, la préoccupation individuelle des consommateurs pour la qualité et l'innocuité des produits alimentaires est partagée par tous à l'échelon mondial. Chaque être humain se soucie de ce qu'il mange et la qualité et l'innocuité des produits alimentaires occupent une place de choix parmi les questions qui importent aux consommateurs, que ce soit dans les pays développés ou en développement. Les aspects de la qualité et de l'innocuité des produits alimentaires qui touchent le plus les consommateurs sont susceptibles de varier d'un pays à l'autre, entre le Nord et le Sud, entre les sociétés développées et en développement, entre les petits et les grands pays, et au sein de chacun de ces groupes de pays. Mais de nombreuses préoccupations des consommateurs à propos de l'alimentation sont presque universelles.

3. À l'aube du 21e siècle, les pouvoirs publics et la communauté internationale des entreprises savent depuis longtemps qu'il est nécessaire d'aborder les questions liées à la qualité et à l'innocuité des produits alimentaires dans le contexte du commerce international. Des gouvernements, la FAO, l'OMS et l'OMC, des entreprises multinationales et des associations professionnelles d'industries agro-alimentaires ont tous pris une part active à l'élaboration de politiques régissant l'innocuité et le commerce des aliments au niveau international.

4. Les consommateurs et les associations de consommateurs qui les représentent dans les forums consacrés à l'action publique n'ont pas joué un rôle aussi marqué dans la plupart des débats internationaux sur la politique alimentaire. De nombreuses associations de consommateurs ont le sentiment, à bon droit, que les décisions qui affectent ce que nous mangerons au 21ème siècle sont prises à huis clos, par des experts travaillant pour le compte des entreprises et des gouvernements, au cours de délibérations auxquelles, souvent, le public n'est pas invité à participer.1

5. Les associations de consommateurs devraient jouer, et je pense qu'elles le feront, un plus grand rôle que celui qu'elles ont eu jusqu'à présent dans les prises de décisions relatives à la politique alimentaire et ce, à plus d'un titre. Tout d'abord parce qu'il est nécessaire que les consommateurs acceptent les innovations qui voient le jour sur le marché des produits alimentaires. Si les nouvelles technologies alimentaires et sources d'aliments "n'accrochent" pas les consommateurs, le marché risque de subir plusieurs dérèglements. Il se pourrait, entre autres, que les consommateurs se méfient des vendeurs, que le public rejette les innovations et que le commerce international des denrées alimentaires se heurte à beaucoup plus de difficultés qu'il ne devrait.

6. Il ne faudrait pas s'imaginer que les entreprises et les pouvoirs publics veillent toujours au mieux des intérêts des consommateurs, ou qu'ils sont systématiquement en mesure de dire ce que les consommateurs voudraient qu'ils fassent. Pour que la politique réponde aux besoins des consommateurs, ceux-ci doivent prendre part au débat et formuler leurs souhaits et besoins. Le fonctionnement harmonieux du marché international des produits alimentaires, au cours du siècle prochain, passera par une participation plus active des associations nationales et internationales de défense des consommateurs aux prises de décision.

II. Rôles des consommateurs

A. LES CONSOMMATEURS SONT DEMANDEURS D'INFORMATION

7. Les consommateurs ordinaires qui veulent, à titre individuel, être acteurs sur le marché des produits alimentaires doivent être informés. Les associations de consommateurs ont également besoin d'une grande quantité d'informations, pour être en mesure de représenter correctement les consommateurs dans les débats sur les politiques alimentaires.

8. La plupart des consommateurs se soucient à des degrés divers de la qualité et de l'innocuité des aliments qu'ils consomment et ont au moins une certaine idée sur la question. Les qualités organoleptiques, la fraîcheur et la valeur nutritive des aliments sont des facteurs que la plupart des consommateurs prennent en considération chaque fois qu'ils font leurs courses. Les consommateurs considèrent généralement que les produits en vente devraient être salubres, mais ils savent aussi qu'ils ont un rôle à jouer dans l'innocuité des aliments, en lavant les produits frais, en cuisant suffisamment la viande, etc. En outre, les consommateurs constatent qu'ils n'ont aucune prise sur certains aspects de l'innocuité des aliments, par exemple les résidus de pesticides et les mycotoxines, et comptent sur les pouvoirs publics pour fixer des normes d'innocuité et sur l'industrie et les pouvoirs publics pour veiller à ce que les produits vendus sur le marché les respectent.

9. Les aspects précis de la qualité et de l'innocuité des aliments qui préoccupent les consommateurs varient certainement entre les sociétés. Il est possible que dans un pays en développement, une consommatrice s'attache avant tout à se procurer une quantité suffisante d'aliments pour répondre aux besoins nutritionnels de sa famille, tandis que dans un pays développé elle se souciera davantage d'éviter une prise excessive de calories et de graisses. Mais les consommateurs de tous les pays recherchent des aliments savoureux, nutritifs, d'un prix raisonnable et renfermant le moins possible d'additifs indésirables et de contaminants toxiques.

10. À mesure que le marché des produits alimentaires se mondialise, les habitudes alimentaires des pays en développement se rapprochent de plus en plus de celles des pays développés. Je crains malheureusement que l'Occident n'ait exporté quelques unes des inventions les moins admirables de sa culture, comme les boissons non alcoolisées et la restauration rapide, avec les problèmes nutritionnels qui s'ensuivent. Une étude conduite dans plusieurs pays d'Asie méridionale a révélé que les consommateurs de cette région étaient très intéressés par l'achat de produits de l'agriculture biologique.2 L'écart qui sépare les nations n'est peut-être pas aussi grand qu'on le croit.

11. Si les caractéristiques particulières qui retiennent l'attention des consommateurs sont vraisemblablement très spécifiques d'une nation ou d'une culture, les consommateurs des pays développés comme des pays en développement se soucient tous de l'innocuité des aliments. Les risques d'origine alimentaire évitables, tels que ceux posés par les additifs, les pesticides et d'autres contaminants, figurent parmi les problèmes alimentaires que les consommateurs souhaitent voir traiter en priorité par les pouvoirs publics et l'industrie, dans la plupart des pays.

12. Aujourd'hui, les consommateurs portent aussi un intérêt croissant au procédé de production des aliments. De nombreux consommateurs souhaitent utiliser leur pouvoir d'achat pour favoriser des méthodes de production alimentaire viables du point de vue de l'environnement et offrant des garanties sur le plan éthique.3

13. Bien que l'on note des différences d'un pays à l'autre et d'une région à l'autre du point de vue de ce qui préoccupe le plus visiblement les consommateurs au sujet des aliments, les frontières s'estompent. Les questions auxquelles les consommateurs sont sensibles aujourd'hui en Europe ou en Amérique du Nord sont celles qui préoccuperont demain l'Asie, l'Afrique ou l'Amérique latine et vice-versa. Mon expérience au sein du mouvement international des consommateurs me porte également à croire que certains soucis sont par nature universels. Par exemple, dans tous les pays les consommateurs veulent des aliments salubres, avoir le choix et, dans des contextes déterminés, des produits dont l'étiquetage est clairement libellé de façon à pouvoir choisir. Quelle que soit leur culture, les consommateurs ont le droit de savoir quel produit ils achètent et de décider de l'acheter ou pas, en fonction des critères qu'ils jugent les plus importants. Les points de vue défendus par les consommateurs en matière de politique alimentaire reprennent ces thèmes, dans le monde entier.

14. Pour être en mesure d'exercer des choix éclairés sur le marché mondial des produits alimentaires, les consommateurs doivent disposer d'informations factuelles bien fondées. Les spécialistes de la qualité et de l'innocuité des aliments (les industriels, les scientifiques, les organismes publics et les organisations non gouvernementales, notamment les associations de consommateurs) doivent diffuser leurs connaissances auprès du public. Cette divulgation peut s'effectuer par divers moyens, tels que l'affichage des informations demandées par les consommateurs sur l'étiquette du produit et toute une série de programmes à large audience destinés à éduquer le public sur des questions liées à l'alimentation.

B. LES CONSOMMATEURS REPRÉSENTENT UNE FORCE DU MARCHÉ

15. La demande du consommateur est en grande partie à l'origine de certains changements survenus ces dernières années sur le marché mondial des denrées alimentaires. La prolifération des aliments maigres et la progression de l'étiquetage nutritionnel, par exemple, indiquent que les consommateurs sont de plus en plus attentifs à leur régime alimentaire, à leur santé et à la nutrition. L'enrichissement du choix des produits alimentaires, notamment en provenance de pays lointains, atteste une révolution non seulement dans les moyens de transport, mais aussi dans les attentes des consommateurs. Il y a vingt ans, par exemple, les consommateurs américains savaient à peine à quoi ressemblait un kiwi, mais ce fruit savoureux est désormais vendu toute l'année, et nous considérons comme acquise la possibilité d'acheter n'importe quand des aliments originaires de l'étranger. Le commerce des denrées alimentaires a élargi le choix offert aux consommateurs dans les supermarchés et ce, pas uniquement dans les pays riches, mais dans le monde entier. Les consommateurs se réjouissent de ce type d'évolution et ne souhaitent pas inverser la tendance.

16. Cependant, la tournure des événements sur le marché des produits alimentaires s'éloigne parfois considérablement de la demande des consommateurs. L'exemple le plus frappant à cet égard est sans doute la prolifération des aliments génétiquement modifiés. Les nouveaux caractères génétiques introduits dans les plantes cultivées visent essentiellement à accroître la productivité agricole et seulement rarement à rendre les aliments manifestement meilleurs pour les consommateurs. Les consommateurs, qui ne voient pas en quoi cette technologie leur profite et sont conscients du risque d'effets néfastes sur l'environnement, se demandent s'il y va réellement du meilleur intérêt de la société que d'investir dans la biotechnologie alimentaire.

17. L'industrie de la biotechnologie a effectivement été secouée quand les consommateurs ont émis des doutes sur l'acceptabilité de certains aliments génétiquement modifiés. Les consommateurs de nombreux pays s'inquiètent de ce que l'innocuité pour la santé publique et l'environnement n'a pas été dûment éprouvée pour ces aliments. Certains consommateurs ont exprimé des scrupules éthiques à propos du transfert interspécifique de gènes, leur malaise face au "bricolage de la nature" et diverses autres appréhensions concernant les aliments génétiquement modifiés. Au niveau international, les associations de consommateurs sont très favorables à l'obligation d'étiqueter les aliments génétiquement modifiés comme tels.

18. De nombreux consommateurs ont l'impression que l'industrie et les pouvoirs publics ont adopté une attitude paternaliste à leur égard afin d'éluder leurs craintes fondées, qui véhicule le message suivant "Soyez sages et mangez vos légumes génétiquement modifiés." La population, qui pouvait finir par accepter certaines applications données de la technologie relative aux aliments génétiquement modifiés, sera beaucoup plus difficile à convaincre depuis qu'elle éprouve de la méfiance et de la colère à cause de la manière dont cette technologie lui a été imposée. Ces obstacles risquent de perdurer très longtemps si des efforts concertés ne sont pas entrepris afin d'apporter une réponse rassurante aux consommateurs qui s'inquiètent à bon droit au sujet des aliments génétiquement modifiés.

19. Il arrive que les demandes des consommateurs à propos de la qualité et de l'innocuité se contredisent directement. À titre d'exemple, les consommateurs des pays développés sont habitués à acheter des fruits et légumes frais sans taches et d'une "présentation impeccable". Mais les critères de qualité qui livrent cette belle apparence imposent une application beaucoup plus intensive d'insecticides. Les consommateurs souhaitent également que les fruits et légumes renferment le moins possible de résidus de pesticides potentiellement nocifs.

20. La plupart des consommateurs accepteraient-ils d'acheter des pommes ou des oranges parfois tachées, afin de réduire la quantité de résidus de pesticides dans leur alimentation? Très certainement. En Amérique du Nord et dans une grande partie de l'Europe, l'étiquetage écologique est apparu sur le marché des produits alimentaires; il stipule "culture biologique" ou diverses méthodes de production qui diminuent le taux de pesticides et d'autres apports technologiques. Beaucoup de consommateurs ne voient aucune objection à ce que les denrées n'aient pas une "présentation impeccable"; lorsqu'ils opèrent des choix dans un supermarché, ils marquent leur préférence pour des méthodes de production alimentaire durables.

21. Les consommateurs des pays en développement souhaitent aussi acheter des denrées issues d'une production durable, mais il semble bien qu'actuellement elles soient plus rares sur leurs marchés. Au 21ème siècle, les consommateurs de tous les pays devront avoir une plus grande possibilité d'effectuer ce type de choix sur le marché mondial des produits alimentaires. Les consommateurs ont besoin d'informations pour arrêter des choix sensés, savoir précisément ce qu'ils achètent et comprendre les conséquences de leur choix.

C. LES CONSOMMATEURS EN TANT QUE PARTICIPANTS À L'ÉLABORATION DES POLITIQUES ALIMENTAIRES

22. Dans mes remarques d'introduction, j'ai déclaré qu'il était nécessaire et légitime que les consommateurs, ordinairement représentés par leurs associations, siègent aux délibérations sur les politiques à suivre en matière de qualité et d'innocuité des produits alimentaires. Quels rôles les associations de défense des consommateurs remplissent-elles actuellement dans ces délibérations et comment accroître l'influence des consommateurs à l'aube du 21ème siècle?

23. La participation des consommateurs à l'élaboration des politiques alimentaires s'impose aux échelons national et international. Celle des associations de consommateurs à l'élaboration des politiques alimentaires au niveau national renforce le bien-fondé et l'acceptabilité des décisions nationales. Comme les thèmes alimentaires et les préoccupations des consommateurs varient considérablement dans le détail d'un pays à l'autre, il est capital que les associations de consommateurs prennent part aux concertations nationales sur la qualité et l'innocuité des aliments. La participation à l'échelon national permettra aussi à ces associations d'acquérir des connaissances et une expérience techniques en matière d'élaboration des politiques qui leur sera utile pour appuyer la participation des consommateurs au niveau international.

24. La situation est très différente d'un pays à l'autre, du point de vue du nombre et du type d'associations de consommateurs, de l'intérêt qu'elles portent à la politique alimentaire et de leurs connaissances dans ce domaine, ainsi que du degré d'ouverture des débats nationaux sur la politique alimentaire à la participation des consommateurs. On a demandé à chaque pays membre du Codex d'établir un Comité national du Codex et un service central de liaison avec le Codex. Les membres ne se sont pas tous acquittés de cette tâche. Parmi ceux qui l'on fait, le degré de participation des associations de consommateurs varie beaucoup.

25. Au niveau international, les consommateurs sont associés aux travaux du Codex depuis de nombreuses années. Consumers International, qui représente quelque 230 associations de consommateurs réparties dans environ 110 pays, envoie des délégations aux réunions d'environ huit comités techniques "horizontaux" du Codex, ainsi qu'à celles de la Commission du Codex, du Comité du Codex sur les principes généraux et des Comités régionaux de coordination du Codex. Consumers International, qui assiste aux réunions du Codex depuis de longues années et qui prend une part active à des débats sur de nombreux sujets, a permis à ses membres d'acquérir de l'expérience et joue un rôle réel dans les travaux du Codex.

26. Depuis un an ou deux, une autre association internationale de consommateurs participe aussi aux réunions du Codex . Sur plus de 100 organisations ayant le statut d'observateur auprès du Codex, il n'y a malheureusement que deux ONG de consommateurs et une poignée d'autres organisations n'appartenant pas au monde de l'industrie. Sur le plan numérique tout au moins, les consommateurs sont fortement sous-représentés au Codex. Et ces derniers ne sont pratiquement pas représentés à l'Organisation mondiale du commerce et dans les négociations du GATT. Si elles veulent faire entendre la voix des consommateurs dans ces enceintes internationales, les associations de consommateurs devront accorder à leur rôle actif dans ces enceintes la même priorité que celle qu'elles ont attribuée ces dernières années à leur contribution aux activités du Codex.

27. La participation des associations de consommateurs à l'élaboration de la politique alimentaire, aux niveaux national et international, comportait certains atouts. Elles ont tout d'abord livré des informations et leurs connaissances particulières. Les associations de consommateurs peuvent au minimum indiquer aux décideurs ce qui importe aux consommateurs ou faire connaître les préoccupations de leurs membres. Certaines associations de consommateurs dans les pays développés et en développement sont également très compétentes sur des aspects scientifiques ou économiques de l'alimentation, sur les processus décisionnels et sur d'autres sujets pertinents. Souvent, les experts associés aux consommateurs n'ont pas les mêmes points de vue scientifiques ou analytiques que ceux de l'industrie et du secteur public. La participation d'experts représentant des associations de consommateurs est donc susceptible de contribuer à équilibrer les points de vue.

28. Leur sensibilité à une gamme étendue de questions sociétales et éthiques est le deuxième atout des associations de consommateurs, qui vient enrichir le débat sur les politiques alimentaires. Si les décisions concernant la qualité et l'innocuité des produits alimentaires doivent s'appuyer dans une large mesure sur des données scientifiques, il convient également de recourir à la science dans un contexte social. Les associations de consommateurs sont souvent en mesure de formuler des préoccupations qui devraient peser dans la politique. Au cours du siècle prochain, de nombreuses questions qui sortent du domaine scientifique, telles que le traitement éthique des animaux producteurs d'aliments et la nécessité d'appliquer des techniques de production alimentaire viables du point de vue de l'environnement, gagneront de l'importance. S'agissant d'identifier et de répondre à ces préoccupations, les consommateurs et leurs associations ont habituellement quelques longueurs d'avance sur les pouvoirs publics et l'industrie. Les consommateurs qui participent à l'élaboration de la politique peuvent servir de "boussole éthique" en indiquant aux pouvoirs publics et à l'industrie les directions à suivre pour répondre aux attentes du public.

III. Quelques obstacles à la participation effective des consommateurs

29. Très honnêtement, la sous-représentation des associations de consommateurs dans les négociations sur l'innocuité, la qualité et le commerce des produits alimentaires procède en grande partie du fait que, jusqu'à une date très récente, le mouvement des consommateurs n'avait pas accordé une priorité élevée à la participation à ces discussions. La plupart des ONG de consommateurs ont une envergure nationale et avant les années 90 peu de ces organisations appréciaient que les décisions affectant la politique alimentaire soient de plus en plus prises dans des instances internationales, plutôt qu'au niveau strictement national. Cette situation change et les consommateurs commencent à faire valoir leurs droits sur le terrain de la politique alimentaire internationale.

30. Bien que les consommateurs souhaitent désormais participer, leurs associations se heurtent quand même à des difficultés si elles veulent remplir un rôle significatif dans la prise de décisions concernant la politique alimentaire internationale. J'espère qu'à l'issue de cette conférence, tout le monde s'accordera à reconnaître qu'il est essentiel que les consommateurs soient appelés à assumer un rôle significatif dans ces délibérations. Notre tâche consistera ensuite à examiner certaines de ces difficultés. Des obstacles majeurs sont énumérés ci-après:

A. LES DÉLIBÉRATIONS SUR LES POLITIQUES À SUIVRE NE SONT PAS OUVERTES AU PUBLIC

31. Aux yeux de la plupart des consommateurs ordinaires, les normes alimentaires et les politiques commerciales internationales sont mises au point dans un sanctuaire clos, hors de la vue du public, par un petit cercle d'experts de haut niveau. On a parfois l'impression que ces négociations se déroulent dans un club auquel on n'a pas été invité. À bien des égards, patents ou occultes, l'élaboration des politiques est moins ouverte et moins transparente qu'elle n'a lieu d'être.1

32. L'un des facteurs qui contribue à cette perception résulte du fait que l'industrie et les pouvoirs publics insistent énormément sur la nécessité de faire reposer les décisions relatives à la politique alimentaire sur des données scientifiques. Tout le monde, bien entendu, y compris les consommateurs, admet que la science fournit une base essentielle et objective aux décisions en matière d'innocuité des aliments. Mais les consommateurs considèrent également que l'élaboration des politiques, qu'elles portent sur l'innocuité, la qualité ou les échanges, passe par un choix de valeurs. Les orientations suivies doivent tendre à représenter de manière équilibrée les différents besoins de la société, ce qui constitue un processus politique et non pas scientifique. Cet accent mis sur la science et souvent, de manière implicite, seulement sur la science, en tant que fondement légitime des décisions donne l'impression à de nombreuses organisations de consommateurs que l'on tente de nier la nature essentiellement politique des décisions concernant la politique alimentaire et de classer les points auxquels les consommateurs sont sensibles, comme la viabilité du point de vue de l'environnement, la justice sociale et l'éthique, comme hors sujet dans les délibérations sur la politique alimentaire.

33. Je pense que l'un des plus grands défis auxquels est confrontée la communauté internationale à l'aube du 21ème siècle est la nécessité de définir les principes qui régissent l'élaboration de la politique alimentaire. Il est clair, d'une part, que la science est indispensable et, d'autre part, que des facteurs non scientifiques doivent être intégrés au processus décisionnel. Comment faut-il prendre ces décisions pour que tous les facteurs légitimes soient représentés à leur juste valeur? À quel stade du processus la science intervient-elle et quand faut-il tenir compte des facteurs sociaux? Nous avons tous besoin de connaître les règles du jeu, afin de pouvoir le mener correctement.

34. À cet égard, le manque actuel de règles clairement admises pose un problème en ce sens que des jugements sociaux non scientifiques sont souvent mêlés à des éléments pseudo-scientifiques, en toute opacité. À titre d'exemple, des organismes scientifiques comme le JECFA ne se contentent pas d'exercer une activité scientifique, ils proposent des définitions du "risque acceptable" et formulent, selon d'autres modalités, des recommandations fondées sur des jugements de valeur subjectifs aussi bien que sur les questions scientifiques qu'ils ont étudiées. Le JECFA, la JMPR et d'autres groupes consultatifs scientifiques conduisent leurs travaux à huis clos. Les scientifiques qui travaillent pour des associations de consommateurs (ou l'industrie) ne sont pas autorisés à faire partie du JECFA et les réunions ne sont pas ouvertes aux observateurs. Les rapports exposant en détail les résultats et le raisonnement qui sous-tendent la décision ne sont publiés que longtemps après les réunions, ce délai pouvant aller jusqu'à un an. Récemment, dans au moins un cas précis (somatotropine bovine), on a prétendu que le JECFA était manipulé par les pouvoirs publics et l'industrie, qui lui faisaient prendre des décisions conformes à leurs intérêts, accusation qui a été rejetée. Dans l'ensemble, cette composante du processus est beaucoup moins ouverte et transparente qu'elle ne devrait pour être crédible aux yeux du public.

35. Bien que nombreuses associations de consommateurs soient assez compétentes en ce qui concerne les aspects scientifiques des décisions relatives à la politique alimentaire, habituellement nos préoccupations recouvrent à la fois des paramètres scientifiques et non scientifiques. Nous ne nous bornons pas à interpréter des faits scientifiques, mais nous nous penchons aussi sur des perceptions plus subjectives de ce qui est dans le meilleur intérêt de la société. Les consommateurs ont besoin de sentir que ces préoccupations sont prises au sérieux par les décideurs. À cet effet, il est nécessaire que la composante relative aux valeurs soit traitée de façon plus ouverte et transparente dans la prise de décisions politiques.

36. Le Codex entreprend actuellement une démarche en ce sens, dans le processus de définition des "principes d'analyse des risques" qui comprend un volet se rapportant à la définition "d'autres facteurs légitimes" non scientifiques qui devraient servir de base aux décisions du Codex. Le mouvement des consommateurs prend une part active à cette activité du Codex et la suit avec grand intérêt. Je dois malheureusement dire que cette démarche progresse très lentement et que la difficulté de la tâche est décourageante. Mais je ne saurais trop insister sur son importance.

B. COMMUNICATION DU SOMMET VERS LA BASE

37. La communication avec le public à propos de l'innocuité des aliments et aussi, dernièrement, de la politique sur le commerce des denrées alimentaires n'a jamais été simple ou facile. L'un des éléments qui la complique inutilement est, à mes yeux, un comportement que l'on rencontre trop fréquemment chez les experts et qui consiste pour ces derniers à prendre les gens pour des ignorants qu'ils sont chargés "d'instruire", c'est-à-dire de leur faire adopter leur point de vue d'experts. Si tel est notre objectif, nos efforts de communication sont voués à l'échec.

38. De nombreuses personnes conçoivent la communication sur l'innocuité et la qualité des aliments comme un processus qui s'opère essentiellement à sens unique: les spécialistes exposent les faits et grâce à cela les consommateurs sont mieux informés. Mais la communication constructive est un échange interactif. Les consommateurs se soucient souvent d'aspects de la qualité et de l'innocuité des produits alimentaires qui ne viennent généralement pas à l'esprit de la plupart des experts. Pour que les consommateurs acceptent les faits que les experts veulent leur faire accepter, ils doivent avoir le sentiment que ces derniers sont attentifs à leurs préoccupations et les prennent au sérieux. Ceux qui souhaitent communiquer avec la population à propos des aliments doivent se montrer respectueux envers les consommateurs, en s'efforçant d'identifier et de prendre en considération l'ensemble évolutif des thèmes alimentaires qui préoccupent les consommateurs. J'ai déjà mentionné certains de ces facteurs, en abordant le rôle des consommateurs en tant que force du marché des denrées alimentaires.

39. Le cas des aliments génétiquement modifiés, auquel j'ai fait allusion plus haut, offre un exemple actuel de mauvaise communication avec les consommateurs sur des questions de politique alimentaire. Bien que des représentants des consommateurs soulèvent publiquement des questions sur la biotechnologie alimentaire depuis dix ans, l'industrie de la biotechnologie se cantonne principalement dans la communication "du sommet vers la base." Au lieu d'identifier les inquiétudes légitimes des consommateurs à propos des aliments génétiquement modifiés et de les examiner systématiquement en tentant de les alléger avant de mettre de nouveaux aliments génétiquement modifiés sur le marché, l'industrie a, en règle générale, d'abord adopté la technologie puis essayé de persuader les consommateurs que les plantes qu'elle cultive et les denrées qu'elle vend sont sans danger et ne se distinguent en rien des autres aliments. Non seulement cette tactique n'a pas apaisé les craintes des consommateurs, mais elle risque bien d'avoir compromis dans une certaine mesure l'acceptabilité de l'ensemble de la biotechnologie alimentaire pour la population.

40. L'une des principales questions à avoir été détournée est la demande mondiale des consommateurs concernant l'étiquetage des aliments génétiquement modifiés. Les consommateurs ont fondamentalement le droit de manger ce qu'ils ont choisi et de choisir ce qu'ils mangent. Tant ceux qui veulent acheter des aliments génétiquement modifiés que ceux qui souhaiteraient ne pas en acheter ont besoin de savoir, grâce à l'étiquette, si le produit est issu d'une modification génétique, pour pouvoir choisir en connaissance de cause. Les consommateurs ressentent l'argument de l'industrie selon lequel l'étiquetage spécifique n'est pas justifié parce que les aliments génétiquement modifiés sont sûrs, comme une tentative d'éluder leurs inquiétudes justifiées et de soustraire la technologie des modifications génétiques aux forces du marché.

41. Certains participants à ce débat soutiennent que l'étiquetage spécifique des aliments génétiquement modifiés constituerait un "obstacle aux échanges." Il est vrai que le GATT, les Accords SPS et OTC attribuent une grande importance à la facilité des échanges et stipulent que les mesures et normes relatives à l'innocuité ne devraient pas imposer plus de restrictions aux échanges que leurs objectifs légitimes ne l'exigent. Mais je ne peux pas croire que ces accords commerciaux aient pu avoir pour objectif de priver les consommateurs du droit de savoir et de choisir. Et nous ne pouvons pas non plus les laisser servir cet objectif. Je pense que le terme "commerce" se réfère à l'ouverture des marchés nationaux aux aliments importés. Il ne signifie pas et ne peut signifier dénier aux consommateurs le droit de connaître la nature essentielle des aliments qu'ils achètent.

42. Certains participants à l'élaboration de la politique alimentaire au niveau international semblent considérer qu'il appartient à l'industrie et aux pouvoirs publics de décider ce qui est sans danger et qui devrait être autorisé à la vente, et que le consommateur doit se contenter d'acheter ce qu'on lui offre. Selon le même état d'esprit paternaliste, ce sont l'industrie et les autorités qui devraient décider de quelles informations les consommateurs ont besoin et lesquelles ils sont autorisés à obtenir sur les produits. Mais je pense, en revanche, que les consommateurs savent quels aspects des produits leur importent le plus, et que les entreprises et les pouvoirs publics devraient répondre à la demande d'information clairement formulée par les consommateurs. Refuser de fournir ces informations aux consommateurs constitue un manque de considération pour leurs préoccupations.

43. Si les consommateurs décident de ne pas acheter certains aliments pour des raisons éthiques ou parce qu'ils sont favorables à des méthodes de production plus compatibles avec l'environnement, leur choix peut guider la société vers des utilisations plus appropriées de la technologie. À mon avis, un marché libre est censé fonctionner de cette manière.

44. En vue d'améliorer la communication, de la rendre plus interactive, plus respectueuse et moins orientée "du sommet vers la base" et de laisser fonctionner le marché comme il devrait, certains responsables de l'élaboration de la politique alimentaire devraient revoir leur conception du rôle des consommateurs. Si une personne de cette assemblée pense que les consommateurs devraient se borner à accepter passivement tous les aliments commercialisés par l'industrie et déclarés sans danger par les pouvoirs publics, je lui propose une nouvelle conception pour le prochain millénaire. Les consommateurs ont le droit de savoir et de choisir. La préférence des consommateurs représente une force du marché légitime et puissante, susceptible d'améliorer la qualité et l'innocuité des aliments au niveau mondial. Vous devriez vous attacher à exploiter cette force, pas à la détourner.

45. La FAO et l'OMS ont organisé en 1998 une Consultation mixte d'experts pour l'application de la communication sur les risques, dans le domaine alimentaire. J'ai eu le privilège de participer à cette consultation, à l'instar de plusieurs autres personnes ici présentes. Je pense que le rapport que nous avons produit4 peut contribuer utilement à relever les défis associés à la communication avec les consommateurs au sujet du commerce des produits alimentaires et je vous le recommande. Il est consultable sur le site web de la FAO.

C. RESSOURCES

46. La participation des consommateurs à l'élaboration de la politique alimentaire aux niveaux national et international est souvent limitée par un manque de ressources. De nombreuses associations de consommateurs nationales ne sont pas suffisamment compétentes dans le domaine alimentaire. Celles qui disposent des connaissances requises estiment souvent qu'elles sont trop dispersées pour pouvoir participer utilement aux discussions en expansion sur les politiques à suivre. Dans les pays en développement, de nombreuses associations de consommateurs locales sont gérées par des bénévoles et n'ont pas ou peu de ressources financières. Le simple fait de se rendre dans une autre ville pour participer à une réunion consacrée à une prise de position nationale sur la politique à suivre risque d'être au dessus des moyens de nombreuses associations de consommateurs.

47. Certains gouvernements qui ont tenté d'encourager les consommateurs à prendre part à leurs activités nationales liées au Codex ont eu des difficultés à trouver des associations qualifiées ou à les convaincre d'investir leur temps et leurs efforts dans cette participation. Malgré ces entraves, de nombreux gouvernements, la FAO, l'OMS et d'autres organisations internationales ainsi que beaucoup d'associations de consommateurs se sont attelés fermement à renforcer la participation des consommateurs à l'élaboration de la politique alimentaire nationale, non sans résultat puisque cette participation progresse lentement et régulièrement.

48. Les contraintes financières posent aussi un problème majeur au niveau international. Les associations de consommateurs internationales sont relativement peu nombreuses et celles qui sont compétentes pour participer de façon constructive à des réunions comme celle-ci ou aux travaux en cours du Codex et d'autres organismes sont encore plus rares. Et quand bien même les associations de consommateurs sont qualifiées pour arrêter des positions sur la politique à suivre, les frais de voyage afférents à la participation à des réunions internationales sont souvent prohibitifs.

49. Toutefois, ces cinq ou six dernières années, la collaboration de Consumers International (CI) aux travaux du Codex s'est intensifiée progressivement. Cette évolution est due en grande partie au dévouement de bénévoles issus d'associations membres de CI. Mais CI a également reçu un don généreux du gouvernement des Pays-Bas, à qui je tiens à exprimer ma gratitude. La FAO a également apporté son concours. Par exemple, le bureau régional de la FAO à Santiago s'est donné pour tâche, en l'élevant au rang de ses priorités, d'aider les associations de consommateurs à apprendre à participer aux activités du Codex, et ses efforts énergiques ont contribué à accroître notablement la représentation des consommateurs aux travaux du Codex en Amérique latine.

50. La Commission du Codex s'est penchée de temps en temps sur la nécessité et la qualité de la participation des consommateurs aux activités du Codex, la dernière fois remonte à sa réunion de juin 1999. Un document de référence préparé en vue de ce débat souligne à la fois les progrès accomplis et certains des problèmes qui subsistent à cet égard.5 Une part substantielle de cette analyse pourrait aussi s'appliquer au-delà du système Codex.

D. DIVERSITÉ DES TENDANCES AU SEIN DU MOUVEMENT DES CONSOMMATEURS

51. Il n'est pas surprenant que les associations de consommateurs de différents pays, y compris celles d'un même pays, divergent parfois sur certaines questions. Cependant lorsqu'il s'agit de faire valoir le point de vue des consommateurs auprès d'instances nationales ou internationales, il est absolument nécessaire de parler d'une seule voix. La coexistence de diverses organisations qui prétendent toutes s'exprimer au nom des consommateurs, mais entrent néanmoins en conflit parce qu'elles défendent des positions politiques différentes risque d'entraîner une confusion. Plus le contexte du débat sur la politique alimentaire s'élargit, plus il est nécessaire que les associations de consommateurs s'entendent et adoptent des positions cohérentes vis-à-vis des pouvoirs publics. Des organisations telles que Consumers International réalisent déjà en partie cet objectif. Mais ce besoin va s'accroître.

52. Les associations de consommateurs de différents pays seront peut-être amenées à trouver une position commune sur certains points qui les séparent sensiblement, si elles se proposent de négocier efficacement avec les pouvoirs publics sur des questions ayant trait à l'innocuité et au commerce des produits alimentaires. Les consommateurs des pays développés et en développement souhaitent tous que les normes d'innocuité des aliments soient à la hauteur, mais, confrontés à un problème concret, ils risquent d'avoir des opinions différentes sur ce qui est "suffisamment sûr". Sur le plan pratique, certains pays peuvent éprouver des difficultés à appliquer le niveau de protection de la santé qui paraît réalisable et souhaitable à d'autres pays. Au Codex, Consumers International a déclaré que les normes du Codex devraient favoriser "l'harmonisation vers le haut"; les normes internationales devant inciter les pays qui ont moins de moyens à élever leurs normes et non pas établir un "plus petit commun dénominateur." De nombreux membres du Codex sont d'avis que les consommateurs des pays en développement ont droit au même niveau de protection contre les risques d'origine alimentaire que les consommateurs des pays développés.

53. Mais cet idéal risque d'être mis à l'épreuve par des considérations commerciales. Supposons, par exemple, qu'un pays développé importe des arachides en provenance d'un pays tropical en développement où les conditions climatiques empêchent d'abaisser suffisamment la teneur en aflatoxines pour satisfaire à la norme sévère du pays importateur. Le pays importateur doit-il assouplir sa norme sur les aflatoxines? Doit-on obliger le pays exportateur à appliquer une norme très élevée? Le fait de faciliter les échanges pourrait profiter aux consommateurs du pays importateur (peut-être par une diminution des prix) ainsi qu'à l'économie et aux consommateurs, au moins indirectement, du pays exportateur.

54. Les consommateurs des deux pays ont un enjeu dans cette décision et leurs intérêts peuvent sembler opposés. Afin de guider leurs autorités, les associations de consommateurs des deux pays devraient, idéalement, collaborer afin de parvenir à une prise de position partagée. Il est difficile de prévoir comment ils mettraient en balance les avantages du commerce et la nécessité d'appliquer des normes d'innocuité strictes. Il se pourrait que les consommateurs du pays exportateur demandent des seuils d'innocuité plus sévères, en avançant le bénéfice commercial comme argument pour persuader leurs producteurs d'adopter les meilleures pratiques en vigueur afin de limiter l'aflatoxine. Les consommateurs du pays importateur seraient peut-être prêts à accepter un risque lié à l'aflatoxine légèrement plus élevé, en l'échange d'arachides de qualité à bas prix, ou dans le but altruiste de soutenir le développement de leurs homologues d'outre-mer. Quoi qu'il en soit, si les groupes de consommateurs des deux pays souhaitaient influencer la décision de leurs autorités, ils augmenteraient leur poids en agissant de concert.

55. La création récente du "Dialogue transatlantique des consommateurs" illustre la collaboration internationale entre les consommateurs sur des questions ayant trait à l'alimentation. Les États-Unis qui sont le premier partenaire commercial de l'Union européenne et réciproquement ont établi avec celle-ci un "Partenariat transatlantique", afin de négocier des politiques commerciales. Des associations professionnelles d'entreprises ont mis sur pied le groupe de "Dialogue commercial transatlantique entre entreprises", qui mène un programme d'action auprès des deux autorités, appuyé par des chefs d'entreprise implantés des deux côtés de l'Atlantique. Lorsque des associations de consommateurs des États-Unis et de l'Union européenne se sont aperçues que des représentants des pouvoirs publics et des entreprises se réunissaient en privé pour prendre des décisions qui affectaient profondément les consommateurs, elles ont demandé à siéger aux négociations, ce qui leur a été accordé. Le Dialogue transatlantique des consommateurs a été institué en septembre 1998, et ses membres ont rapidement formulé des prises de position communes vis-à-vis des partenaires commerciaux de leurs gouvernements, sur une série de questions, dont la qualité et l'innocuité des aliments. En dépit de quelques différences notables quant aux priorités et aux points de vue sur certaines questions, les associations de consommateurs des États-Unis et de l'Union européenne ont collaboré avec fruit et entamé leur dialogue avec les pouvoirs publics.

56. À mesure que le commerce des denrées alimentaires poursuivra sa croissance et que les considérations commerciales pèseront de plus en plus lourd dans les décisions nationales relatives à l'innocuité des aliments, les associations de consommateurs auront de plus en plus besoin de consolider leur position sur ces questions et ce, dans les situations commerciales bilatérales, au niveau régional et dans la négociation des accords commerciaux mondiaux.

IV. Résumé et Conclusions

57. Les consommateurs veulent, à bon droit, participer à l'élaboration des politiques internationales sur la qualité, l'innocuité et le commerce des produits alimentaires. Leur présence "à la table" offre de nombreux avantages, dont l'un des plus appréciables est le renforcement de la légitimité des politiques aux yeux des associations de consommateurs, parties prenantes à leur élaboration, et, par suite, une meilleure acceptation de ces politiques par le public.

58. C'est essentiellement en travaillant au sein du système Codex que j'ai acquis de l'expérience en matière d'élaboration de politiques alimentaires au niveau international. Je pense que la participation des consommateurs au Codex, qui s'est accrue sensiblement ces dernières années, a commencé à remplir sa promesse, bien que l'on procède encore à certaines améliorations. Il me semble, quoique je connaisse beaucoup moins bien les autres forums, que la présence des consommateurs aux négociations du GATT et de l'Accord SPS, à l'Organisation mondiale du commerce, et à d'autres délibérations internationales sur la politique alimentaire était purement symbolique. Je pense que cela résulte en partie du fait que les intéressés sous-estiment la nécessité d'assister à ces débats et que les ressources allouées à cette fin sont insuffisantes; et probablement aussi en partie du fait que le Codex, malgré quelques problèmes qui subsistent, est plus ouvert à la participation des consommateurs que la plupart des autres organes internationaux et que ses activités offrent plus de transparence aux observateurs intéressés.

59. Je crois que si les politiques actuelles en matière de commerce international des denrées alimentaires tendent davantage à permettre aux entreprises de vendre sur le marché mondial qu'à accorder des droits aux consommateurs sur ces marchés, c'est sans doute parce que la participation des consommateurs n'a pas une portée suffisante. Dans notre combat pour rétablir un juste équilibre dans ces accords, mes collègues du mouvement des consommateurs et moi-même espérons vivement collaborer avec vous tous au cours du siècle à venir.

V. Recommandations

60. J'adresse les recommandations suivantes aux gouvernements, aux organismes internationaux et aux associations de consommateurs:

RÉFÉRENCES

1. Gerth, J. (1998) Where Business Rules: Forging Global Regulations That Put Industry First. New York Times, Section D, page 1, January 9, 1998.

2. A survey on consumer awareness of "sustainable consumption" issues was carried out in 1997 by academic researchers and the Regional Office of Consumers International in Penang. A preliminary report was presented at the CI World Congress in Santiago in November 1997. For details of the final report, contact Josie Fernandez, Director, CI Regional Office for Asia and the Pacific, e-mail [email protected].

3. Hartman, H., et al. (1996) Food and the Environment: a Consumer's Perspective. Phase I. The Hartman Group, Bellevue, Washington. [Also, Phase II report (1997), and Phase III Report (1999).]

4. FAO (1999) Rapport de la Consultation mixte d'experts FAO/OMS pour l'application de la communication sur les risques aux normes alimentaires et aux questions de salubrité. Rome, FAO, janvier 1999. (consultable sur http://www.fao.org)

5. Commission du Codex Alimentarius (1999) Participation des consommateurs aux travaux de la Commission du Codex Alimentarius. ALINORM 99/8, document de référence préparé pour la vingt-troisième session de la Commission du Codex Alimentarius, 28 juin-3 juillet 1999, siège de la FAO, Rome (février 1999)